Préface


4 affects forts définissent ma-vie-mon-œuvre : la peinture, la gravure, la photographie et les femmes nues.

Oui, j’entends bien affects même pour définir des « techniques ». Les techniques ne sont pas « froides », on n’a pas affaire à elles par commodité, comme si on avait le choix. Elles font partie du regard qu’on a sur les choses pour que les choses existent à travers elles.
[…]

Enfant, à la fin des années quarante, début des cinquante, je ne pouvais voir des « images » de femmes nues que dans les musées de peintures anciennes ou dans les livres d’art. J’ai découvert et appris à regarder les femmes nues en même temps que la peinture. Et je suis devenu peintre. On ne dit pas devant un beau paysage : je veux devenir peintre. On le dit devant un tableau.
[…]

Il faut glisser une pièce de 200 lires dans la fente de la tirelire mécanique qui commande la minuterie de la lumière, pour pouvoir admirer les 3 tableaux du Caravage accrochés dans une des petites chapelles de l’église Saint-Louis des Français, à Rome. J’étais là quand la lumière s’est éteinte sur un touriste japonais arrivant à grands pas avec, à la main, son guide de Rome ouvert à la bonne page. La chapelle était plongée dans une semi obscurité, trop dense, tout de même, pour pouvoir apercevoir quoi que ce soit. Il s’est tourné vers moi, surpris, contrarié, déçu d’être arrivé quelques secondes trop tard. J’ai remis une pièce dans la boîte en souriant et le miracle de la lumière fût ; ravi, notre touriste a pu, le temps de l’éclairement des tableaux, lire dans son guide les articles qui parlaient d’eux et admirer les reproductions. Quand la lumière s’est éteinte à nouveau, notre homme est parti sans avoir levé les yeux sur les tableaux.

(Je n’ai compris la portée de cette anecdote qu’une quinzaine d’années plus tard ; elle méritait d’être « regardée » en pleine lumière.)