Remarques sur...


Personnage et figure

Texte publié partiellement (jusqu'à la remarque 65) dans le catalogue de l'exposition FIGURES (le musée des nus) Galerie Numaga, 2007


1

J'ai le sentiment que figure est plus abstrait que personnage.

2

On dit : c'est un ou ce sont des personnages : (personne(s) représentée(s))

3

Si je retranche le décor (ce qui est autour) est-ce que ce sont toujours des personnages ?

4

Même dans un décor. Le déjeuner sur l'herbe de Manet, La tempête de Giogione... à cause de la nudité. (voir remarques 19 et 20)

5

Si le décor disparaît, est-ce que je peux dire que ces personnages perdent leur statut de personnages et qu'ils deviennent des figures ?

6

La figure comme concept. Le concept de figure

7

Où est la figure ? La figure, elle est où ?

8

Dans mes récits (l'Annonciation (9 tableaux), Adam et Ève (17 tableaux) etc.) chaque " tableau " ne contient qu'une figure (qui peut être un objet). Si l'ensemble des tableaux fait fiction, les figures deviennent-elles pour autant des personnages ? J'ai envie de répondre non. Et là, on a peut-être besoin de la distinction entre narration et récit (le retour des lucioles).

9

Le personnage est engagé dans une narration, la figure dans un récit.

10

Je vois un personnage dans une phrase et la figure comme un énoncé autonome.

11

Par moment, j'ai l'impression que c'est un bon problème. À d'autres moments, je pense que c'en est un faux.

12

Le Petit Larousse donne de " FIGURE " au point 11, sa définition en psychologie : façon dont un élément individuel et structuré se détache de ce qui l'entoure. Reste à établir, pour moi, ce qu'est un élément individuel et structuré.

13

Cet été, je suis allé revisiter quelques grottes et abris préhistoriques dans le Périgord ; chaque représentation est une figure.

14

George Segal, Allan Mc Collum, les " moulages " de Pompéi, les préhistoriques…

15

Les personnages dans les peintures de E. Hopper ont tous un devenir figure.

16

On peut aussi penser à la représentation des champignons (illustration documentaire) dans les livres de botanique.

17

Voir figura

18

Dans le TGV Toulouse-Bordeaux de 17h34, la fille assise sur le siège en face de moi est une personne ; dans la vitre, son pâle reflet lui donne un devenir figure. Si elle était nue, en face de moi, elle serait, comme la fille du Déjeuner, ou celle de La Tempête, étrangère au contexte, " débarquée " d'une autre planète, parfaitement figure.

19

Que dissimule la nudité ? Précisément cette sorte d'intimité qui, en fin de compte, n'intéresse personne. La nudité dit le monde, pas quelqu'un. (E.H. in Hier. éd. Musée de l'Élysée, Lausanne)

20

J'étais avec mon collègue, le peintre Philippe Fangeaux, devant une étudiante qui nous montrait son travail : un " objet " qu'elle avait fait en terre d'argile à partir d'un certain volume de terre qu'elle avait pétri dans ses mains avec le plaisir manifeste de le faire et d'en jouir. Cet objet n'était pas abstrait même s'il ne représentait rien d'identifiable. Objet ? sculpture ? - Certainement pas… - C'est peut-être une chose, a dit Philippe.

21

Entre personnage et figure y a-t-il la même différence qu'entre objet et chose ?

22

La figure est renforcée par l'anonymat. Le nom d'une personne intervient comme un contexte.

23

Dans notre culture, parmi les couleurs, le blanc n'est-il pas la couleur la moins caractérisée, " personnalisée ", la moins représentative ? Ne choisit-on pas de mettre du blanc quand on ne veut pas mettre une couleur ?

24

Le blanc est une couleur qui montre l'absence d'une couleur.

25

Le blanc est une couleur qui montre une absence de couleur.

26

La traduction des photographies en tableaux passe par ce qui est masqué en blanc. (E.H. in Hier. éd. Musée de l'Élysée, Lausanne)

27

La traduction des personnages en figures passe par ce qui est masqué en blanc.

28

Blanc est-il la couleur de la nudité ?

29

Il faudrait aborder le monochrome.

30

Ici, la couleur blanche est un concept.

31

Ce n'est pas de la neige ni du givre, c'est du blanc. (J.L.Godard à propos de Week-end : " Ce n'est pas du sang, c'est du rouge. ")

32

Pensée blanc (in le Trou sous la brèche, Frédéric Léal, éd. P.O.L 2006)

33

Le lieu de la figure est le tableau, la place du personnage est dans la fiction (dans un tableau).

34

Les figures sont libres, autonomes.

35

Dans le dictionnaire historique de la langue française, LE ROBERT à l'entrée FIGURE je lis : […] figura est formé sur le radical fingere " modeler (dans l'argile) "… (voir remarques 21 et 22)

36

Modèle <--> figure

37

1) J'ai une collection de cartes postales de tableaux représentant un ou plusieurs personnages nus. (Aujourd'hui, en février 2006, j'en compte plus de 500.) Toutes sont peintes en blanc en ménageant, détourant la ou les personnages nus. Le peintre, dont je modifie l'œuvre, reste maître de la " composition " de ma peinture. Le personnage que j'ai " isolé " est toujours à l'emplacement que le peintre lui a donné dans son tableau. 2) Sur les grands tableaux* où je reproduis la peinture par impression numérique, j'agrandis le personnage ou le réduis et le centre. Donc, je le recadre. C'est moi qui maîtrise la composition du nouveau tableau où la figure occupe la place centrale et toujours à la même échelle par rapport au cadre. Il y a là une double action : celle du choix d'une figure (que, dès lors, je peux faire hors cartes postales) et celui de son déplacement.
* bois contreplaqué de 153 x 109 x 0,5 cm. préparé de plusieurs couches de Gesso et fixé sur un châssis.

38

Dans les cartes postales repeintes, trois éléments distincts font sens : la carte, le personnage et la peinture. Dans les grands tableaux, nous n'en avons que deux : le tableau peint et la figure imprimée. Plus direct par rapport au concept de figure.

39

La série des cartes s'appelle " Figures peintes " sans titre avec, à chaque carte, entre parenthèses, son numéro.

40

Pour les grands tableaux, j'ai décidé de les intituler Grandes figures peintes avec un numéro.

41

Même si je fais des tableaux plus petits ou plus grands, je continuerai de les intituler Grandes figures peintes en continuant de les numéroter.

42

Les grands tableaux sont bien issus des cartes postales et ils en ont les proportions. Mais maintenant qu'ils s'en sont affranchis (voir remarques 37 et 38), doivent-ils, pour autant, rester homothétiques ? Pas nécessairement, je crois.

43

Et pourtant, varier les formats pourrait nuire au concept de figure. J'y vois pointer le bout du nez d'une fiction. La tentation de composition (mise en page de la figure dans le tableau), de " faire installation " (format des tableaux relatifs à l'architecture du lieu de l'exposition ou à des éléments extérieurs à la peinture elle-même), etc.

44

Que la figure soit là, dans le tableau, comme cela, simplement, justement là. Pas autrement. Sans chichi. L'évidence. Ce n'est pas qu'une histoire de proportions, c'est surtout une affaire de peinture.

45

Dans l'atelier, devant mes grands tableaux, Pierre-Lin a parlé de la fresque de Paul Delaroche dans l'Hémicycle des beaux-arts de Paris, milieu XIXe. J'attends les documents qu'il va m'envoyer à ce sujet. Déjà 2 ressemblances : primo, cette fresque représente un aréopage des meilleurs artistes de tous les temps, et secundo, c'était à l'époque de l'invention d'un marché international de la reproduction artistique grâce aux graveurs, photographes, lithographes et éditeurs ; marché qui connaît, aujourd'hui, un développement immense grâce à la reproduction industrielle, notamment avec le livre d'art et la carte postale.

46

" Mont(r)er " plusieurs figures de plusieurs peintres différents sur le même support. " Faire salon ".

47

1er essai en photocopie découpée aux ciseaux d'un Renoir, un Gimmi et un Soutine : 3 femmes nues cadrées du haut de la tête jusqu'au haut des cuisses. Les trois figures se ressemblent et " vont-bien-ensemble ". Vraisemblablement trop bien.

48

Un autre essai : l'Adam de Dürer, la main de Giacometti et une jeune fille nue de Munch. Ce n'est pas du tout satisfaisant. La composition revient, la narration et tout ce qui fait habitude dans la peinture, aussi. J'ai remplacé la main par les 2 frères de Picasso. C'est presque pareil.

49

Quelle différence y a-t-il entre trois tableaux placés côte à côte représentant chacun une figure et trois figures côte à côte dans le même tableau ? Sinon la part du montage de l'exposition ?

50

Je laisse cette proposition dans un coin de ma tête. Elle reviendra si elle doit revenir. Je n'ai peut-être pas, aujourd'hui, tous les éléments qu'il me faudrait.

51

J'ai reçu les documents sur Paul Delaroche : deux textes très savants*. L'idée de Delaroche a été de représenter les artistes célèbres là où un classique pur aurait peint un être imaginaire, un symbole […] dans cet hémicycle du Palais des Beaux-Arts, lieu de la distribution des prix. Mais comment remplir cet espace ? Comment grouper toutes les figures qu'il pouvait contenir, de manière à exprimer cette idée de gloire, à rendre palpable cette promesse d'immortalité ? […] La fresque fut achevée en juillet 1841.
*L'Hémicycle de l'École des Beaux-Arts de Paris ou l'histoire figurée de l'art, par Claude Allemand-Cosneau et Delaroche par Goupil : portrait du peintre en artiste populaire, par Pierre-Lin Renié in catalogue RMN, 1999 (exposition musée des Beaux-Arts de Nantes).

52

Série en préparation avec Maylis : la vénus du lotissement. L'accomplissement de gestes stéréotypés liés à l'entretien de la maison, du jardin, à l'exercice d'un sport de maintien et à la vie de couple. Je pense à des photographies en couleur agrandies par impression numérique sur des panneaux de contreplaqué.

53

Le fond peint en blanc n'est pas opaque. Que laisse-t-il, alors, transparaître ? Certainement pas le décor atténué de la fiction mais quelque chose de la figure elle-même, en " résonance ", en préparation.

54

Mes deux derniers tableaux : La baigneuse dite de Valpinçon d'Ingres (N° 14) et la petite Vanité de Memlinc (N°15). Une peinture classique parfaite et une tentative de voir et comprendre (avec beaucoup d'incertitude) ce qu'est une jeune fille dans la Flandre de la fin du XVe siècle et ce qu'est une peinture.

55

La baigneuse, dans le tableau d'Ingres, est déjà une figure (dans l'intention du peintre) malgré les obstacles de la fiction.

56

Dans Vanité (même avec son titre symbolique qui peut nous faire voir la jeune fille comme une allégorie), Memlinc tente de décrire comment est cette personne qui nous dit voyez-vous comme je suis belle ? Un projet et un regard documentaires.

57

Dans Grande figure peinte n°19 le fond est plus couvrant que dans les autres (peu de transparences et de touches du pinceau visibles). Il n'y a que lorsqu'il frôle la figure qu'il s'anime.

58

La qualité d'un concept, dans la peinture, n'a aucune incidence sur la qualité de la peinture.

59

Mes tableaux se développent autour de quelques idées simples, faciles à évoquer. Reste la part de la peinture, cette part dont on ne peut parler, qu'on ne peut que montrer.

60

Dans le tableau, il y a 2 éléments qui composent l'image ; le fond et la figure. (Dans l'histoire, il y a beaucoup d'exemples de cette articulation-là. Le fond étant un paysage lointain, un décor, un papier peint, une tenture, etc.) La figure n'est pas sur le fond. La figure est au même niveau, à côté.

61

" À côté " comme nouveau concept. (voir remarque 75)

62

Les 2 éléments du tableau sont hétérogènes du point de vue de leur technique: peinture et image numérique.

63

Correspondance avec mon ami Jacques C . qui m'écrit : " figura, ae, f. : - 1 - forme, figure, extérieur, aspect, apparence. - 2 - forme, espèce, genre, manière. - 3 - qqf. ombre, fantôme. - 4 - figure (t. de rhét.). - 5 - au plur. allusions. "

64

Sur Jacopo da Pontormo au sujet du cycle de fresques réalisées dans le chœur de la basilique San Lorenzo à Florence (Jacopo da Pontormo journal, postface de Fabien Vallos, éd. MIX, 2006). : " […] tenter de comprendre cette vertigineuse nudité comme une absence stricte, formelle cette fois, de tout signe de reconnaissance (vêtements, attributs, symboles, etc.) et revenir à ce qui compose, au sens le plus strict, l'identité, c'est à dire le visage. […] dans la première version le Christ et Dieu le Père sont nus : ils n'y échappent pas : ils sont figures (c'est moi qui souligne), ils sont corps, ils doivent être nus. "

65

Là où l'intervention de Charles Reznikoff* n'est que de versifier un texte de prose existant sans en changer les mots, je ne fais que recouvrir de peinture blanche les tableaux existants sans toucher aux personnages nus.
* Témoignage, aux éditions P.O.L-Hachette, 1981, traduction Jacques Roubaud.

66

J.-L. G. compare* mes fonds blancs aux fonds or de certaines icônes religieuses. "… mais aussi pour installer une vibration visuelle, vibration produite par les fonds or des icônes religieuses […] cette idée d'intemporalité du concept de figure et comme le font les icônes et certaines peintures monochromes** approche un sentiment de spiritualité."
* Jean-Luc Gervasoni , Alexandre Delay à nus In Petites affiches lyonnaises, bimensuel économico-juridique, 15 octobre 2007,n° 869.
** voir remarques 29 et 75

67

Regardant mon exposition* un visiteur dit : " ça fait quand même pas beaucoup de travail, tout ça… "
* Galerie Numaga (CH) Colombier, septembre 2007

68

L'idée de l'or des icônes est intéressante parce que l'or n'est pas de la peinture et même pas une couleur - l'or change de couleur à chaque point de vue, au moindre changement de lumière -. L'utiliser à la place de la peinture blanche n'affaiblirait certainement pas le concept de figure. Mais évidemment, comme le souligne J.-L. G. (voir remarque 66), lui conférerait une dimension sacrée, spirituelle.

69

Avec le blanc, j'enlève, avec l'or, j'ajoute. Déshabillage - habillage ?

70

Le sentiment de spirituelle existe dans la ressemblance du blanc à l'or. Le remplacement du blanc par de l'or n'y apporterait, sans doute, que du " spirituel anecdotique " ? Il faut voir.

71

L'or pour Maylis dans la série La Vénus des habitudes oui, pourquoi pas, mais du blanc pour les Grandes figures peintes.

72

Deux remarques de Wittgenstein in Remarques sur les couleurs. La première : Dans un tableau, le blanc doit être la plus claire des couleurs. La seconde : Lichtenberg parle d'un " blanc pur " et il entend par là la plus claire des couleurs. Personne ne pourrait parler ainsi d'un jaune pur.

73

F.J. écrit* " En les détourant et en les isolant de tout contexte par un badigeon blanc - l'absence de couleur ou l'addition de toutes ? - il nous les rend à la fois plus proches, contemporains, presque familiers (c'est moi qui souligne), et plus abstraits, comme absents d'eux-mêmes. Emblématisés […]
* Françoise Jaunin, Le musée des nus à Colombier, in 24 HEURES,19 septembre 2007

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Proches, contemporains et familiers… ce sont des notions qui me sont très chères. Chacune de mes figures comme des bouts d'histoire qui se rapprocheraient du spectateur, qui viendraient à sa rencontre.

75

Si l'on peut voir que les figures occupent les à côtés de la peinture, considérons alors mes tableaux comme des monochromes*. (voir remarques 29 et 61)
* cette remarque a été publiée dans mon petit dictionnaire des notions (dans mon site Internet)

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J'ai certaines affinités avec le blanc comme le disait Gerhard Richter en parlant du gris.

77

Je ne vois pas le blanc comme la combinaison de toutes les couleurs du spectre solaire (lumière blanche). Ni comme un symbole : virginité, pureté, etc. (voir remarques 23, 24 et 25)

78

La neige fait le même travail que l'artiste, elle recouvre les choses… J'ai entendu cette phrase, comme ça, hors de son contexte, sur France Inter, le 8 octobre 2007.

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